Voici maintenant plus de 40 ans, un académicien, nommé Pierre Gaxotte, rédigeait un petit conte intitulé « Le conte du plombier ». Dans ce conte, un vieux plombier suggère à son fils de prendre sa relève plutôt que de choisir la médecine.
« Fiston, je sais compter. Dans un appartement, il y a 2 baignoires, 2 chauffe eau, 1 évier, 4 lavabos, 15 robinets, 12 radiateurs, 1 bidet, 43 coudes et 86 mètres de tuyauterie. Tout ça contre deux ou trois paires d’amygdales. De nos jours, mon fils, on voit à la ville 800 élèves médecins pour 30 apprentis charpentiers, 300 futurs dentistes en face de 12 aspirants couvreurs et 500 étudiants en droit et pharmacie devant 25 en sanitaire. Ainsi soignée, examinée, vaccinée, auscultée et sulfamidée, l’humanité de demain ne sera plus souffrante. Mais les siphons des vidanges, longtemps négligés, seront presque tous détraqués. Il y aura plus d’avenir pour toi, mon fils, dans les chasses d’eau que dans les intestins grêles. N’embrasse pas de carrière sans réfléchir à ces choses…Et le plombier de rêver à un avenir rempli de rose. Tandis que les médecins en seront réduits à passer des annonces dans les journaux pour offrir des guérisons à forfait, des traitements à crédit, des ristournes aux clients fidèles… le plombier, homme désiré, travailleur en blouse blanche, voit chaque jour ses gains grossir et son prestige grandir… Il ne fait plus que des débouchages : un simple bout de fil est dans sa trousse et il se nomme en toute simplicité, syphonocurateur… »
Moralité : il n’existe pas de sot métiers et Gaxotte était un visionnaire.
Mais fallait-il réellement posséder des talents de visionnaire pour prévoir hier que le surnombre de médecins, de pharmaciens, d’avocats ou d’architectes allait entraîner une baisse du pouvoir d’achat de ces derniers ? Faut-il posséder aujourd’hui des talents de devin pour prévoir que des milliers de jeunes diplômés connaîtraient le chômage à la fin de leurs études parce que leur parents préféraient qu’il deviennent haut fonctionnaires ou professeurs plutôt que secrétaire, peintre en bâtiment, plombier, comptable ou informaticien ?
Dans notre société une hiérarchie des métiers fondée sur la durée des études et le prestige du diplôme s’est solidement implantée dans l’esprit des parents alors qu’une telle hiérarchie devrait être fondée sur les besoins de notre économie. Les médias n’ont rien fait pour lutter contre ce phénomène, probablement parce que l’enseignement n’intéresse personne, contrairement aux déclarations d’intention. Probablement aussi parce que notre culture n’est guère favorable au profit contrairement à nos concurrents allemands ou anglo-saxons. Certains y verront l’impact de notre religion d’autres mettront en cause le système éducatif qui, lui aussi, n’est guère favorable au profit.
Je me contenterai d’envoyer une volée de bois vert à ces jeunes qui s’engagent dans des filières sans trop réfléchir à leur débouchés. « On s’en occupera à la fin de nos études » vous diront-ils volontiers, pensant naïvement que leur diplôme leur ouvrira la porte des entreprises.
Hélas, ces dernières n’ont plus assez d’argent pour les former et c’est pourquoi le chômage viendra les toucher alors qu’ils seront au maximum de leur enthousiasme, de leur curiosité, de leur créativité.
Quel gâchis pour notre économie !